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  • Le mensonge, phénomène de société

    Médiathèque

    Par Alain Hosdey

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    En préambule

    Où nous découvrirons que tous les groupes humains peuvent utiliser le mensonge comme moyen d’affirmation, de domination. Et que, de bonne foi ou par intérêt, des « cibles » favorisent l’accomplissement du mensonge. Quand elles ne l’encouragent pas.

    Partie 1 – Définition et concepts-clés

    Traiter du mensonge en deux courts articles (voir l’article  » Le mensonge dans les relations interpersonnelles. Jeu ou poison? » ) n’est pas sans risque. Le plus directement évident est de prendre position dans un débat sans fin : les paroles et les actes des humains sont-ils dirigés avant tout par le mensonge ? Est-il immanent ou pas ? Pour tenter une réponse, intéressons-nous d’abord à ce qu’est – et n’est pas – l’acte de mentir.

    De quoi s’agit-il ?

    Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement…

    Appliquons ce sage précepte au concept dont il est question ici et évitons qu’il puisse être sujet à chamaillerie.

    La définition la plus commune du mensonge, celle qui recueille le plus d’adhésion est : « fait d’affirmer sciemment des choses fausses, qui ne se sont pas produites ou qui se sont produites autrement. » De cette affirmation résulte que le menteur est celui qui soutient le contraire de la vérité ou la travestit, l’édulcore, la magnifie. La question de la définition du mensonge semble ainsi réglée. Il n’en est rien.

    La seconde facette du mensonge est fréquemment négligée : « ne pas dire ce qui devrait l’être, taire des réalités, des faits, des nuances, la présence de certains acteurs sur le terrain… »

    Énoncer une « vérité » et faire l’usage simultané de la seconde facette du mensonge est commode. Le menteur est indiscutablement crédible pour une part de ses propos et peut se disculper des critiques pour l’autre. Ne fut-ce qu’en reprochant à son interlocuteur ne l’avoir pas interrogé sur des aspects qui, pour lui, semblaient aller de soi ou être si peu d’importants.

    Menteur toujours ?

    Excluons le cas de l’individu dont l’esprit est si égaré dans le monde des pathologies psychologiques et sociales qu’il ment abondamment comme le fait le mythomane. Écartons aussi l’individu qui, lors d’épisodes délirants, déclare qu’il est Napoléon. Difficile de reprocher de mentir à ceux qui déraisonnent ! Mais ne les confondons pas avec nombre de dirigeants de tous bords qui mentent éhontément, le savent et dont le cas ne relève donc pas à proprement parler de la psychiatrie. Jusqu’à présent, du moins.

    Laissons à leur sort les caricatures de l’Empereur et revenons à ce qu’on appelle le monde « normal » et posons une autre question : le menteur est-il toujours menteur ? Menteur est-il un état dont l’individu ordinaire ne peut totalement se départir ? Avec, pour conséquence, que jamais on ne pourrait accorder une parfaite confiance aux propos de qui que ce soit. La réalité n’est pas si tranchée.

    Par souci de facilité, nous avons classé les humains en quatre catégories selon la façon qu’ils conçoivent mensonge et vérité.

    Les humains et le mensonge en quatre catégories

    Les vertueux sincères

    La vérité est une valeur. Ils conduisent leur vie en étant et en parlant « vrai », quoi que cela leur en coûte.

     

    Les vertueux par obligation

    La vérité est une corvée. Ils ne font que réprouver le mensonge, parce qu’il conduit à être montré du doigt.

    Les menteurs invétérés

    La vérité n’est pas un sujet d’intérêt, sauf pour les naïfs. Tout le monde ment à tout le monde, il ne faut pas s’en priver.

     

    Les menteurs occasionnels

    La vérité est une bonne chose. Mais le mensonge peut présenter plus d’avantages que la vérité

    Nous examinerons plus loin sur les raisons qui conduisent, sans doute, chacun à se placer dans une catégorie plutôt que dans une autre.

    Un contenu, une cible, un intérêt

    Nous nous devons de vous avertir : sans intention de choquer, nous pensons que la catégorie des « vertueux sincères » forme un ensemble vide. Tout au plus peut-on dénombrer un pourcentage modeste de personnes susceptibles de rejoindre une sorte de « Cinquième colonne », celle des « souvent vertueuses »…

    Le mensonge se produit dans un cadre contextuel : un individu peut mentir dans certains circonstances et non dans d’autres.

    Mentir est favorisé ou contrarié par trois éléments de contexte : un contenu, une cible, un intérêt.

    Un contenu

    Le mensonge porte toujours sur un contenu, c’est-à-dire une information accompagnée ou pas de faits l’illustrant, vrais, faux, incomplets…, comme précisé dans la définition plus haut.

    Le contenu doit se prêter à mensonge, être de préférence invérifiable ou très difficilement vérifiable. À moins que le menteur, par manque d’intelligence ou de culture, ignore que ses propos seront à coup sûr suspects, que la vérification est aisée ou déjà réalisée. On pense ici à la kyrielle des petits malfrats sans envergure dont le cortex travaille mal ou très lentement.

    Une cible

    Le mensonge est destiné à tromper, égarer, manipuler un individu ou une groupe de personnes que nous nommons la « cible ». Le menteur veut atteindre des « pigeons » et produire un effet sur eux. Ne sont de bonnes cibles que celles qui ont droit, ont besoin d’un contenu exact et complet pour comprendre, agir, être rassurées. Le menteur n’a pas grand intérêt à perdre son temps avec des gens que ses propos laissent indifférents ou font sourire.

    Un intérêt

    Découvrir l’intérêt qu’il y a de mentir n’est pas simple. Surtout si l’on croit fermement que le mensonge ne paie pas, puisqu’il se révélera tôt ou tard. Donner crédit à cette issue non démontrable est preuve de touchante et dangereuse naïveté.

    La question de l’intérêt – nous pourrions aussi l’appeler « bénéfice » – est liée à l’existence d’une cible et aux caractéristiques de celle-ci.

    Quel sens mentir aurait-il pour un individu dont le cas ne relève pas de la psychiatrie (voir plus haut) s’il le fait dans le désert ? À vrai dire, aucun. Tout comme l’acteur qui joue un rôle – mais ne ment pas, puisque le public sait qu’il se conduit comme personnage -, le menteur a besoin d’un public.

    Public qu’il s’agit de perturber pour qu’il ne puisse décider ou agir comme il comptait le faire.

    La rationalité devrait empêcher le mensonge

    La rationalité – appel à la raison – conduit à analyser les faits, à les soupeser, les vérifier, les relater tels quels… en ignorant ou, plus justement, en écartant quand nécessaire les émotions, sentiments, jugements, opinions…

    Puisque nous nous décrivons comme des êtres supérieurs dotés de raison, nous disposons des ressources pour savoir quand nous mentons et éviter de le faire. Avec, en plus, la possibilité de considérer le mensonge comme une atteinte à la rationalité.

    La réalité est tout autre : nous sommes des êtres faisant preuve d’une « rationalité limitée » : nos émotions, nos jugements, nos préjugés, nos perceptions biaisées entrent en concurrence avec notre raison et les premières sortent victorieuses plus souvent qu’il ne le faudrait.

    Pour comprendre l’intérêt – surtout de nature émotionnelle – que le mensonge peut revêtir, une courte incursion dans l’histoire complexe, parfois compliquée, du développement d’un individu n’est pas inutile. Rassurez-vous : il n’est pas question de chercher obsessionnellement dans l’inconscient un événement ou un autre conduisant, sans doute, possible à mentir abondamment. Mais le sens du mensonge est inscrit dans notre passé, comme résultat d’un processus d’insertion sociale, parsemé de croyances à propos de la vérité que nous pouvons perpétuer ou pas.

    Les injonctions mentionnées ici peuvent être entendues très jeune, dans la vie familiale et par la suite dans tous les groupes humains que l’on fréquente, y compris les organisations. Elles exercent une influence non négligeable, mais on peut décider, un jour, de les mettre en question. Décision pénible, s’il en est.

    Des injonctions marquantes

    Décisions possibles

    Il n’est pas bien de mentir, et le mensonge est directement sanctionné sans exception. Si la sanction me paraît injuste ou disproportionnée, à l’avenir, je mentirai d’une façon plus astucieuse pour éviter d’être encore sanctionné !

     

    Il n’est pas bien de mentir, mais sanctionner directement et sans exception est trop difficile. Mentir n’est apparemment pas si grave, puisque la sanction ne suit qu’une fois sur deux ou beaucoup trop tard !

    On peut mentir pour certains faits tels que…

    Mentir n’est pas interdit dans certains cas, et il serait stupide de ne pas en profiter !

    On peut mentir à certaines personnes telles que…

    Les personnes trop différentes (genre, origine, âge, handicap…) sont des proies faciles. Mentons-leur sans état d’âme !

    Pas vu, pas pris = pas mensonge. Il suffit de s’arranger pour passer inaperçu, faire disparaître les preuves ou accuser de mensonge le premier venu.

    Dire la vérité est la norme, et il n’y a aucune raison de féliciter celui qui la respecte.

    Pourquoi dire toujours la vérité, puisque l’on ne reconnaît pas l’effort que cela suppose ?

    Les autres mentent aussi quand… Pour ne pas être traité de c…, je me conduis comme les autres !

    La raison du plus fort l’emporte toujours, mieux vaut être de son côté.

    Mieux vaut adhérer aux idées du plus fort, quitte à mentir comme lui pour éviter des ennuis !

    Les décisions se superposent autant que le font les injonctions. Ce qui permet au menteur d’emplir à foison sa « boîte à outils ».

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    Sommaire

    Auteur

    Alain Hosdey

    Licencié et agrégé en sciences psychologiques, Alain Hosdey est directeur de la collection RH d'Edipro. Pendant plus de 40 ans, il a observé et évalué les comportements de 20.000 personnes au moins dans des situations de sélection, de formation, de coaching de carrière et d'outplacement.